Accueil > Critiques > 2010

Glasser - Ring

lundi 11 octobre 2010, par Laurent

Entre le soleil et l’embrun


Perdue dans quelque limbe opaque où se sont déjà égarées les voix de Blonde Redhead ou de Lali Puna, Cameron Mesirow cherche sa voie. D’un côté, Harrys Gym lui laisse entrevoir la lumière, une trouée dans les nuages qui invite la flottaison à ne pas se faire stagnation. « Mes ailes ne sont-elles pas trop jeunes ? songe-t-elle. Le soleil ne fera-t-il pas fondre la cire qui me tient dans l’éther ? » Depuis la brume glaciale qui masque la mer et interdit le vertige, Under Byen et Nedry tentent cependant d’attirer la petite Icare vers les bas-fonds. Osera-t-elle s’y risquer ? « Et si l’humidité des embruns m’empêchait à jamais de remonter ? »

Entre deux eaux, entre deux airs (de ne pas y toucher), Glasser a opté pour une curieuse apesanteur. Quand le rythme martial d’Apply plombe l’atmosphère à coups de basses lugubres et de tams-tams de guerre, ses jappements s’adressent directement aux étoiles. Quand un sarangi envoie sinuer sa Clamour sur les sommets du Népal, on peut compter sur un sax aphone pour expectorer quelques relents de poudreuse et soustraire les débats aux neiges éternelles, avant l’épanadiplose.

Car entre le premier et le dernier titres de “Ring”, tout a été conçu sur le mode circulaire. Un cycle fascinant, concentrique, comme un palindrome dont T serait la lettre médiane et, surtout, le titre le plus incandescent. Seulement, ici les brûlures vous marquent au froid : les stigmates laissés sont des engelures, dont on cherche à se remettre entre chaque morceau par la grâce d’interludes apaisants, autant de baumes qui meublent l’espace entre les sillons. Des colonnes d’air, en somme, dont le souffle maintient Glasser dans son domicile incertain comme il fait vibrer les flûtes enchanteresses de Plane Temp.

En s’inventant ici au carrefour des extrêmes, l’artiste participe de cet exotisme utopique qui n’est ni dépaysement, ni folklore. Juste une évasion hors des dédales fléchés, dans le sillage d’autres volatiles avant elle, certes, mais en parsemant les nues de couleurs nouvelles. Picorant aux palettes révérées de Taken By Trees (Treasury of We, Glad), Fever Ray (Mirrorage) voire de la Björk des “Debut” (Home, beau comme un Vénus en garçon avec son violon cintré), Glasser se love dans un moiré qui n’appartient qu’à elle. L’essor s’est révélé être un pur moment de grâce. Les lèvres gercées, on épie amoureusement la suite de l’envolée.


Répondre à cet article

3 Messages

  • Glasser - Ring 14 octobre 2010 00:01, par Benjamin F

    Bon je ne sais pas quoi te dire de plus que d’habitude :)

    Pour la peine, je vais aller m’écouter ce Glasser.

    Voir en ligne : http://www.playlistsociety.fr/

    repondre message

    • Glasser - Ring 14 octobre 2010 11:56, par Laurent

      Par moments, j’espère ne pas l’avoir surévalué... mais on est toujours plus emballé par les premiers albums, c’est la nature.

      repondre message

      • Glasser - Ring 18 octobre 2010 15:22, par Benjamin F

        Bon après écoute, je pencherai plutôt du côté de la surévaluation :) même si l’album ne manque pas de qualité.

        repondre message

  • Comley Pond - The Old House

    On vous avait déjà parlé de cette formation française à l’occcasion d’un EP sympathique qui montrait de belles dispositions. On change résolument de braquet ici avec 21 titres pour 40 minutes de musique. Mais la longueur n’est pas la seule évolution, la consistance et la constance sont aussi de la partie.
    Et puis il y a un concept, on peut voir cet album comme une visite de maison (forcément (…)

  • Destroyer - Dan’s Boogie

    Etrange attachement que celui qu’on a pour Destroyer. A un tel point qu’on comprend parfaitement qu’on reste un peu à l’écart. Ce nouvel album ne va sans doute convertir que peu de sceptiques, mais ceux qui ont déjà trouvé la porte d’entrée de l’univers de Dan Bejar resteront au chaud à l’intérieur.
    Son style se retrouve dès le premier morceau qui claque et prend son temps à la fois. Kitsch (…)

  • Painting - Snapshot of Pure Attention

    Le truc du trio allemand Painting, c’est de l’art-rock anguleux dans la lignée de choses comme Deerhoofou Architecture in Helsinki (désolé pour les références pas neuves). Et oui, c’est un genre qu’on apprécie toujours (pas trop Deerhoof pourtant, allez comprendre) surtout quand il est défendu avec autant de verve.
    Basé sur l’idée d’une AI qui prendrait ’vie’ et revendiquerait son identité, (…)

  • Eilis Frawley - Fall Forward

    Certains albums résistent. Non pas à l’écoute, celui-ci nous accompagne depuis trois mois. Mais à l’analyse. Leur fluidité n’aide pas le critique. Mais sera appréciée par l’auditeur, on vous le garantit. Eilis Frawley est une batteuse à la base, notamment au sein de Kara Delik dont on vous reparle prochainement. C’est manifeste au détour de morceaux comme People qui s’articule autour de cette (…)

  • Bruno Karnel - Villa Solitude

    La critique musicale, ce n’est pas comme les tests. On essaie d’éviter de conclure par une colonne de gauche de ’j’aime’ et une colonne de droite ’j’aime moins’. Pourtant parfois, comme des points plus négatifs peuvent ne pas peser dans la balance au moment de la décision, on aurait tort de passer des oeuvres sous silence sous prétexte qu’on n’adhère pas à 100%. Vous aurez compris que c’est le (…)

  • Ektör - Ektöristan

    Cette nouvelle sortie de Bitume productions ne fait pas dans la musique extrême, c’est à signaler au moment d’aborder cet étrange objet musical. On est plus dans les dingueries math-rock et prog, le genre qu’on avait entendu du côté de Chocolat Billy ou Joy as a Toy. Et pour assumer le genre, il faut du niveau, qui est là d’emblée et reste tout au long de ce court album sans scorie.
    Ceci est (…)

  • Mesaverde - All Is Well

    Les découvertes génèrent des découvertes, surtout quand les artistes font partie de plusieurs projets. Il suffit de savoir tirer le fil. Un des moteurs de la réussite récente de Mildfire est sans doute son batteur Lars Fremmelid. Quand un groupe (norvégien également) se signale à nous et se réclame de la mouvance prog, notre curiosité est forcément piquée.
    Ce second album se situe dans le (…)

  • Piles - Una Volta

    Il y a des noms qui n’évoquent guère avant qu’on ne les croise dans des projets emballants à très courts intervalles. Ce projet à trois batteurs, Guigou Chevenier, Michel Deltruc et Anthony Laguerre se place en effet dans le sillage du Club Cactus dont on vous a parlé récemment. D’autant plus que le dernier nommé est membre des deux formations et de Filiamotsa. Mais à l’inverse des deux autres (…)