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S. Carey - All We Grow

samedi 25 septembre 2010, par Laurent

Suspension


Dans la famille Bon Iver, j’en demande... un autre. Mais en tout cas j’en redemande. On a cru que le pseudonyme hiémal servait seulement de couvert à Justin Vernon, l’homme des bois qui a, depuis un premier album déjà culte, élargi ses horizons musicaux au-delà de toute prédiction. On en a régulièrement parlé, d’ailleurs. Pourtant, force est de reconnaître que Bon Iver est un vrai groupe – à tout le moins sur scène – et qu’il compte au moins un autre songwriter remarquable.

Sean Carey, batteur au sein de la formation, a donc décidé de se mettre au service de ses propres chansons, et le résultat est ragoûtant. On reconnaît tout à fait le style des dépressifs du Wisconsin : chant saturnien dédoublé comme une vision éthylique, litanies en spirales, dignité dans la mélancolie plus contemplative que plaintive. À cela s’ajoutent quelques particularismes salvateurs : une relative variété musicale, certes limitée mais marquée par les privilèges accordés au piano, toujours joué en boucle (In the Stream, We Fell) et parfois rehaussé d’assonances mélodiques et percussives qui rappellent Patrick Watson (In the Dirt).

Par moments, les secondes voix se font tierces, quartes, infiniment plurielles, et jouent les Icare sans se soucier du soleil (Mothers). Haut les chœurs. Carey maîtrise la voltige comme la lévitation au ras du sol : All We Grow, la chanson, semble vouloir s’enfoncer sans cesse dans les entrailles de la terre, plombée par sa propre gravité, mais une force invisible – cette guitare qui grince ? cette clarinettes expirante ? – la maintient miraculeusement en suspension.

Et si Broken commence par s’abattre lourdement sur la terre ferme, c’est pour prendre un plus bel élan vers le firmament. Le disque s’achève ainsi à la belle étoile, traversé çà et là par des comètes chargées d’électricité statique (Rothko Fields et Action, somptueuses parenthèses muettes) et animé d’un perpétuel mouvement centrifuge. De la toute belle ouvrage, déjà entendue sans doute, mais rien n’exclut que Sean Carey détrône un jour son écrasant patron.


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