Accueil > Critiques > 2007

Beirut - The Flying Club Cup

lundi 8 octobre 2007, par marc

Fanfare de chambre


De la musique balkanique jouée par un natif du Nouveau-Mexique à peine majeur, c’est typiquement le genre de mélange incongru qui pique la curiosité. Il n’y a guère plus d’un an, c’est pourtant ce que proposait Zach Condon avec son projet Beirut.

L’annonce de la collaboration de Zach Condon et Owen Palett (Final Fantasy était quand même mon album de l’année passée) m’avait immédiatement fait saliver. Qu’allait donc pouvoir donner le produit de ces deux talents bruts ? Hé bien, loin de s’affadir mutuellement, on a l’impression que la conjonction des deux a permis d’accoucher d’un format chanson à la fois classieux et populaire qui va permettre de sans doute récupérer en route les rétifs à la fanfare brute. Il est probable aussi que cette évolution pourra rebuter les ultras.

Sans conteste, une des plus grandes réussites du premier album en tant que titre individuel est Postcards From Italy qui se présentait comme une chanson immédiate, qui partait sur des notes d’ukulélé et où les cuivres ne venaient qu’apporter la couche de finition. C’est sans doute ce modèle qui a servi de base pour le second album, qui précise l’évolution constatée sur Lon Gisland EP et Pompei EP. L’impression d’un chanteur devant un bandas s’estompe devant forme plus pop reposant sur des instrumentations balkaniques. Et ce n’est pas le seul changement. Cliquot est visiblement chanté par le Canadien. Ce qui fait que cet album aurait pu se faire sous une bannière commune et pas sous le patronyme de Beirut. C’est que le vibrato de Zach Condon est par trop systématique et se voit dédoublé presque systématiquement. C’est un signe de reconnaissance, certes, mais pourra lasser à la longue.

Il y a clairement une volonté francophile, qu’on retrouve dans les titres des chansons mais aussi dans des extraits de bande-son de film, mais un talent pour enrichir les orchestrations qui met le sympathique Bénabar (c’est un exemple à succès mais il y en a d’autres notamment dans cette si indigente chanson réaliste) face à son flagrant manque de talent et d’inspiration. C’est qu’il faut de la clairvoyance pour dépoussiérer un genre qui pourrait paraître suranné. Et non, sonner ancien avec des recettes éprouvées n’est pas une fatalité. Espérons que ces artistes récompensés auront l’humilité et la curiosité de se tourner vers ce qui se fait dans des genres connexes à l’étranger. Mais je m’éloigne.

Allons donc à l’essentiel, qui est pour vous ce à quoi vous devez vous attendre en vous procurant cet album. Sans trop de surprises, des ressemblances avec d’autres arrangeurs qui sonnent parfois vintage se font sentir ici et là. On songe donc àYann Tiersen sur Cliquot, au son de piano et à la science de l’orchestration de Sufjan Stevens sur In The Mausoleum et la plage titulaire qui clôture me rappelle certaines velléités de musique de pub de Divine Comedy, ses meilleurs moments en somme, quand la préciosité ne venait pas encore gâcher le plaisir. A rayon des franches réussites, classons le spleenesque St. Apollonia qui bénéficie d’un apport de cordes pincées qui renforcent encore le morceau. La batterie y est bien plus fine que celle d’une fanfare quelconque. On a donc ce fameux mélange de subtilité et de force.

Comme pour renforcer la réussite de la plupart de ces morceaux, il y en a aussi qui sont trop lisses pour être convaincants, utilisant les cuivres plus comme décoration (Cherbourg). C’est là que les limites du procédé sont atteintes. Le résultat n’est pas indigne, loin de là, mais on sent que l’équilibre est très fragile.

En s’acoquinant avec un des talents les plus prometteurs de la plantureuse scène canadienne, Beirut a eu accès à une subtilité qui vient souvent embellir ses toujours entrainantes sections de cuivres traditionnels. Quand l’alchimie marche, on a le subtil équilibre entre populaire et savant, musique de chambre et guinguette, spleen et euphorie, tradition et expérimentation. C’est au milieu de ces contradictions que se produit l’étincelle, quand le total est supérieur à la somme de ses parties.

    Article Ecrit par marc

Répondre à cet article

  • Swans – Birthing

    On ne s’attaque pas à un album de Swans à la légère, on le sait. D’ailleurs, leur album précédent qui semblait plus accueillant de prime abord le rendait aussi moins intéressant.Ils semblent avoir changé d’avis et reviennent donc à une ampleur impressionnante, estimant sans doute qu’un goût de trop est préférable à un goût de trop peu.
    Aucune chance de ‘trop peu’ avec le format d’abord, 7 (…)

  • Matt Berninger – Get Sunk

    Pourquoi se lancer en solo ? C’est une question qui revient souvent pour les artistes ayant plusieurs projets en parallèle. Et la réponse varie en fonction de la personne, certes, mais aussi du contexte. Ce n’est évidemment pas pour combler un grand vide productif que Matt Berninger sort son second album sous son nom, The National est bien actif et au top de sa popularité comme en témoignait (…)

  • Beirut - A Study of Losses

    On vous avait déjà parlé de musiques de films, de séries, de documentaires, de spectacles de danse, d’installations et même de restaurants, on inaugure la musique de cirque. Dans le genre, difficile de faire plus raccord que le premier album de Beirut avec ses cuivres balkaniques. Mais le temps a passé et Zach Condon a consacré énormément d’efforts à sortir ce cet étroit carcan musical. Et ce (…)

  • Cross Record – Crush Me

    Depuis eux albums, Cross Record est le projet solo d’Emily Cross. Chanteuse de Loma, elle agit aussi en tant que ‘Death Doula’, autrement dit en assistant des fins de vie. Elle a aussi quitté son Texas pour le Dorset et est devenue mère, ce qui ne doit pas être un mince ajustement. Donc quand on décèle que c’est une chanteuse habitée, tout ce substrat prend son sens, prend chair même. (…)