samedi 10 décembre 2011, par
Bon ben on y est presque : l’année 2011 touche tout doucement à sa fin et ça va prochainement être l’heure des bilans, presque une fin en soi quand on a envie de se nettoyer la tête et de ne retenir, en vue d’un plus lointain avenir, que ce qui aura été digne des plus vives attentions. On revient donc en vitesse sur dix albums venus du grand pays hexagonal juste en-dessous de la Belgique, dont un Belge, dont une Québecoise, et dont des qui chantent même pas en français. Ah oui : et avec beaucoup de fils à papa dedans.
On pensait que, peut-être, l’intouchable Bashung serait l’homme de la situation pour reprendre un des deux grands albums de l’intouchable Gainsbourg. Il n’en est rien, ou pas grand-chose : les arrangements, certes classieux, ne sont que des dépoussiérages serviles des versions originales, et le défunt chanteur en propose une copie conforme au tempo accéléré. La puissance narrative des vers de Gainsbourg souffre terriblement de cette diction peu scrupuleuse, sans vraie conviction, qui manque de nous entraîner dans le récit sadomaso de cet album culte. Une exception, magnifique : la version nettement moins pressée de Variations sur Marilou, étendue sur neuf minutes de sensualité countrysante, rivalise avec le chef-d’œuvre. Pour le reste, on a plutôt envie de retourner écouter “Play Blessures”, et vite !
Presque tout l’album est susurré par un Daniel Darc au bord de l’aphonie, occasionnellement disposé à chanter faux (Les Femmes Aiment les Tatouages) ou à jouer d’un harmonica déphasé (Ira). Dans son costume d’écorché vif sauvé par la révélation biblique, l’ex-Taxi Girl pourrait sonner parfaitement ridicule, mais il est si crédible qu’il finit par toucher plus d’une fois au sublime (La Taille de Mon Âme, Vers l’Infini). Le voyage est d’autant plus agréable qu’il est relevé d’arrangements subtils (C’était Mieux Avant, Sois Sanctifié) et d’une poignée de titres plus énergiques délicieusement frais (C’est Moi le Printemps, Quelqu’un Qui N’a Pas Besoin de Moi). Depuis sa renaissance il y a sept ans déjà, Darc le ténébreux n’en finit pas d’épater la galerie. Grâce lui en soit rendue, et la rédemption tout acquise.
Ce disque est truffé de contradictions : d’abord, Claire Denamur ne vient pas du Namurois, elle est d’outre-Qiévrain ; elle pose à genoux mais son attitude démontre qu’elle n’a à se prosterner devant personne ; et même si elle collabore avec le pénible Da Silva, l’album ne compte pourtant aucune faute de goût. Les sonorités de “Vagabonde” ne vont jamais puiser dans les ressorts connus de la variété : juste un country-rock à l’américaine, mais chanté dans la langue de Dick Rivers – à deux exceptions dépouillées près – d’une voix fragile qui peut faire frissonner dans les moments apaisés (Rien de Moi, 34 Septembre). La tension est savamment contrôlée (Daemon), la pop s’immisce à doses homéopathiques (Bang Bang Bang) et l’ambiance est d’une louable sobriété : Claire erre, mais elle sait où elle va.
Au sein de la jeune garde française, il serait commode – et assez vain – de trouver un épigone mis à jour pour chacune des vieilles gloires de la variété. Pour ce qui est du nouveau Jacques Dutronc, cependant, pas besoin de fouiller bien loin : le fiston se charge à merveille de reprendre la flamme du dandysme bon enfant qui fait crac-boum-hue. Mêmes inflexions vocales et mêmes costards que papa, même humour décalé à peine absurde (Turlututu, Oiseau Fâché). La plus-value, on le sait, réside dans cette musicalité pointue héritée de Django (quatre instrumentaux au doigté sûr). Thomas Dutronc est déjà une institution tant son style s’inscrit dans l’inconscient collectif. Son deuxième album a toutefois oublié une des valeurs cardinales du genre : dans « variété », il y a « varié ».
J’ai eu le privilège de voir la fille du grand Serge faire, pour ainsi dire, ses premiers pas d’adulte sur scène. C’était avec Air et sans souffle, mais force est de constater que depuis, l’organe fluet de la fraîche quadra (si ! si !) a drôlement gagné en confiance. Passons sur la moitié live de ce nouveau disque hétéroclite, pas trop ma tasse de thé, et intéressons-nous plutôt aux huit nouveautés studio signées entre autres Beck, Connan Mockasin ou Charlie Fink, pour ceux qui douteraient encore de la crédibilité indé de l’intéressée. Désormais très à l’aise vocalement, Charlotte Gainsbourg enchaîne les bons titres en continuant de préférer la langue de sa mère. Sans atteindre la réussite de son excellent album “IRM”, l’ensemble est produit aux petits oignons et ça sonne simple et funky. Très, très digne.
Un dernier mot sur l’increvable héros de la chanson, dont le fils a enfin franchi le pas après s’être longtemps posé la rituelle question de la légitimité. Rien de fondamentalement génial ici – en dehors des compos immortelles du père, bien entendu – mais Lulu, 25 ans, n’a pas étudié la musique pour rien : ses talents d’arrangeur éclatent au grand jour sur les versions jazz de Black Trombone ou Intoxicated Man, voire sur ce Poinçonneur des Lilas manouche. Ses qualités de chanteur sont en revanche plus discutables, mais une poignée d’invités de luxe sont là pour donner le change. Si -M- et Vanessa Paradis cachetonnent sans grande conviction et que Scarlett Johansson prolonge ses manières de Bardot sur Bonnie & Clyde, les prestations d’Iggy Pop et de Rufus Wainwright sont absolument parfaites.
Encore une fois, le Québec s’impose en tant que premier fournisseur de chanson française stimulante d’obédience pop-rock. Réalisé par l’aventureuse Emily Loizeau, bien connue pour emmener les musiques les plus tendres à l’orée boisée d’un « pays sauvage », ce premier album se distingue par sa façon de mêler l’évidence (le tube suranné Tourne Encore, l’obsédant Partir Ensemble) à l’exploration en territoire hanté (Longue Saison et son orgue lugubre, la superbe plage titulaire). Majoritairement paresseux, le rythme du disque rend bien compte du spleen qui domine les états d’âme de Salomé Leclerc, jeune cow-girl chialant dans sa bière au milieu d’un saloon déserté (Nos Jours, Garde-Moi Collée), et même le bien-nommé Volcan gronde sans jamais s’éveiller. Une nouvelle révélation de la belle province.
Le défaut numéro un des sympathiques Mud Flow, ç’a toujours été l’accent du chanteur. Pourtant je n’aurais rien misé sur la reconversion francophone de Vincent Liben... et là, surprise : ce premier album ré-réédité est terriblement attachant, dans la veine de crooners distingués tels que Julien Baer ou Audrain. Les arrangements sont épurés, les chansons construites autour de refrains immédiats et presque systématiquement soulignés par de délicates voix féminines, notamment en duo avec la charmante Berry (Mademoiselle Liberté). La plus grave Camélia trempe ses couplets dans un talk-over suave, et au final il se dégage de ces onze titres une mélancolie ensoleillée dont on n’aurait jamais cru capable l’ex-rockeur. Quand un artiste se trouve enfin, c’est toujours un honneur de faire partie des invités.
Pour faire partie des gens branchés, il est de bon ton de dire tout le bien qu’on pense de ce trio auvergnat à bananes rockabilly. Eh bien désolé, mais ce ne sera pas pour cette fois... D’accord, une classe non négligeable se dégage de ces morceaux construits comme des singles yé-yé mais chantés en version crue (Niquée), gentiment déstructurés par des incursions de synthé déglingué façon Alan Vega (La Princesse au Petit Pois, Ce Qui M’Branche). Il y a là-dedans un peu des premiers Bashung enracinés (Mathématiques), du vieux Nino Ferrer rigolard (Tabou), et dans l’ensemble un curieux mélange de Stray Cats passés au filtre krautrock. Pourtant, toutes ces excellentes intentions et la relative originalité du son ne parviennent pas à cacher un cruel manque de charisme et d’énergie.
Que cet album porte bien son nom... L’hiver s’invite dans vos chambres, comme il a glacé celle où furent enregistrées ces quinze chansons chaleureuses. La sublime Boy revient dès lors à ses premières amours à deux, et c’est en léger retrait qu’elle se met ici au service d’une musique plus floconneuse, versant grêle et immaculé des abîmes obscurs explorés sur ses chefs-d’œuvre solitaires. Ainsi, si la dream-pop teintée de folk chantée par Tazio est un petit miracle de douceur pour coins du feu (No Birds, Sad Old Photograph), c’est lorsque Boy s’égare seule dans le blizzard que l’on regoûte au venin de nos péchés originels (Asli). Sur son précédent disque, elle s’était juré de ne plus regarder en arrière... mais que cette saine parenthèse n’empêche nullement Tazio & Boy de laisser alterner leurs humeurs.
Après un EP prometteuret un album remarqué, Muet prend l’air. Comme Kwoonou Andrew Bird, ils ont choisi de sortir du studio pour enregistrer un nouvel EP. Pas de révolution en vue pour Colin Vincent (Volin) et Maxime Rouayroux, le spectre de Thom Yorke plane toujours sur cette formation. Il y a des comparaisons plus infâmantes convenons-en. Le chant particulier et les sons travaillés (…)
Clara Luciani fait de la variété. C’est une simple assertion qu’il est nécessaire de rappeler. Parce qu’on parle d’un des cadors du genre, voire de la reine incontestée en francophonie. C’est le prisme au travers duquel il conviendra d’apprécier son troisième album. Si son passé en tant que membre de La Femme ou son premier album solo la destinaient à une chanson française plus indé, elle a (…)
Si on ne craignait pas autant les poncifs, on parlerait de ‘belle proposition de chanson française’ pour le sextette emmené par Roxane Terramorsi et Nicolas Gardel. Et on serait un peu convenus, certes, mais aussi dans le vrai. Parce que ce qu’on entend sur ce premier album, on ne l’a entendu comme ça chez personne d’autre.
Ou alors pas en francophonie (il y a des morceaux en anglais ici (…)
On connait pourtant bien la discographie de Dominique A. On l’a vu en concert en salle, en plein air, en festival, tout seul, en trio, en quatuor, avec une section d’instruments à vent, délicat ou très bruyant, acoustique ou post-rock. On sait qu’il peut tout tenter et tout, Donc une relecture avec orchestre ou plus intimiste, pourquoi pas ?
La réponse cingle après quelques secondes, avec la (…)